Le 6 Février
Prestaliss annonce 728 suppressions de postes , sur 905 encore
existants, à Paris et en province. 80% des emplois seraient rayés.
La raison
invoquée est le manque d’argent. La restructuration tourne à la
braderie, les centres de diffusion régionaux sont vendus à des
opérateurs privés, la structure de diffusion est bradée à la
découpe.
Le manque d’argent
ne concerne pas tout le monde, la restructuration est pilotée par Le
Monde et le Figaro, avec la bénédiction des autres groupes de
quotidiens nationaux , tous dirigés par des personnalités de la
finance. 10 milliardaires possèdent 89 % des quotidiens
nationaux, auxquels s’ajoutent 55 % des parts d’audience de
télévision et 40 % d’audience des radios. Ce sont eux qui
redessinent la diffusion de la presse de demain.
Comment en est on
arrivé là ?
1945, le Conseil
National de la Résistance (C.N.R. ) propose qu’un projet de
distribution démocratique de presse soit créé. La presse régionale
et nationale est en pleine recomposition, après 5 ans de
collaboration avec l’occupant.
Les systèmes de
distributions précédents ne peuvent pas être reconduits. Pendant
trop longtemps , le groupe Hachette a créé une situation de
monopole, destiné à la vente de ses propres titres . L’accès à
la presse, ne peut être le résultat d’une concurrence commerciale
entre propriétaires de journaux.
Difficilement , la
Loi Bichet est votée, elle fixe un cadre juridique et permet la mise
en place d’un système de péréquation, où l’ensemble des
titres de la presse nationale bénéficient du même système de
distribution. Le fonctionnement du système est assuré par le
paiement d’une côte part proportionnelle aux ventes effectives.
L’ensemble des moyens de distribution , puis, par la suite , des
sites d’impression sont mutualisés et permettent à tous les
titres d’être distribués, à la même heure, dans tous les points
de vente du réseau national.
Ce ne sera pas un
service public, mais une mission encadrée par la loi, réalisée
par des entreprises privées.
Ainsi sont créées
les Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne (NMPP) regroupant 5
coopératives, détenant 51 % du capital, les 49 % restants
sont détenus par Hachette
Ce système original
sera assez vite très performant. Dés 1946, 4,6 millions
d’exemplaires de presse nationale sont diffusés chaque jour
L’appétit
financier regagne du terrain
Les promesses de la
libération vont vite se fissurer. Bien que la possession de titres
de presse soit encadrée et définie par la Loi, Robert Hersant ,
patron au passé collaborationniste, achète plusieurs titres et
commence à bâtir un empire, sans que le pouvoir gaulliste ne
bronche d’un poil.
Hersant détient
l’Auto Journal, il va agglomérer autour des quotidiens régionaux
, créer la Socpresse, il achètera aussi le Figaro. Le papivore
servira tous les partis qui le souhaitent, il ouvre la voie des
empires de presse. Il déclarait en Novembre 1976 :
« S'il n'y
avait pas de journalistes et pas d'ouvriers du Livre, les éditeurs
de journaux seraient des gens heureux (L'Expansion ) Fallait
oser !
La publicité entre
1950 et 1960 vient conforter les chiffres d’affaire, et petit à
petit , ce n’est plus le lecteur qu’il faut séduire , mais
l’annonceur. Entre les années 1960 et 1970 , les groupes de
presse se constituent, se structurent, et se partagent le marché
publicitaire, devenant ainsi de plus en plus dépendant de recettes
autres que la vente au numéro ou l’abonnement .
Les affairistes de
la presse sont inventifs. Afin de constituer des groupes de plus en
plus gros, les titres de presse sont fusionnés. Ainsi le Figaro
rachète l’Aurore qui avait publié et vendu 300 000 exemplaires du
« J’accuse de Zola» en une heure… Mais on peut
additionner les titres , les lecteurs ne marchent pas dans la
combine, ne retrouvant pas la ligne éditoriale qui les avait séduit,
un bon nombre cesse de lire une presse fade, qui ne se distingue plus
par une ligne éditoriale.
Le rédactionnel,
les articles , le choix des sujets deviennent identiques, car les
journaux sont rachetés par des hommes d’affaires qui ont en commun
de ne pas être des gens de presse, mais des professionnels du
business.
Marchand d’armes ,
Lagardère, Matra-Hachette, Dassault, financiers pur jus , comme
Rotchild , le monde des affaires dessine les contours de l’édition
et la distribution de la presse quotidienne nationale. Les années
1970 à 1980 verront l’accroissement des fusions, acquisition . La
publicité devient un marché dominant au point de conditionner la
pagination, le contenu des articles, le format des articles.
C’est la naissance
des publi reportages. Au cours des années 1980, certains titres ,
comme le Figaro dans son édition magazine du week end , édite
jusqu’à 80 % de contenu publicitaire.
Mais on peut faite
mieux. L’édition numérique des quotidiens de presse va être mise
en place sur la seule base des recettes publicitaires. Le journal
n’est plus qu’un support. Les annonceurs publicitaires , ne sont
pas fous, ils n’investiront pas deux fois , sur le net et sur le
papier.
Ce manque de
financement accentue une crise qui structure un peu plus la
profession. Pour sortir de ce marasme, les quotidiens de presse
nationale vont adosser les contenus des éditions numériques, aux
supports multimédias, fragilisant ainsi les rédactions
traditionnelles et créant leur propre concurrence. Les banques et
divers opérateurs, tous étrangers au monde de la presse entrent
dans la danse,. La gestion de la presse devient l’affaire , des
groupes financiers, des plus grandes fortunes du CAC 40. Bouygues,
Bertelsman, Pierre Bergé, François Pinault, Bernard Arnault,
Mathieu Pigasse, Bolloré , Xavier Niel....
Stratégie du
chacun pour soi et casse de l’outil de péréquation ,de 1990 à
nos jours
La presse est ainsi
livrée au monde de la finance, qui a en horreur l’héritage du
C.N.R. La philosophie d’après guerre d’une distribution de la
presse équitable doit faire place à la concurrence, au marché.
Jusqu’alors la
mutualisation des moyens permettait à la presse de résister. 5
centres régionaux , Nantes, Nancy, Lyon ,Toulouse , Marseille,
impriment au plus prés des lecteurs la presse nationale. Ainsi
toutes les nuits, Libération , Figaro, France soir, Humanité, les
Échos, l’Équipe, etc sont imprimés à Paris et en province ,
ce qui limite considérablement les véhicules de livraison sur de
grandes distances. Les articles et photographies arrivent par système
satellites dans les imprimeries, ou le journal est conçu puis
imprimé . A la sortie des rotatives, des salariés des NMPP
préparent la répartition des journaux qui seront livrés en moins
de trois heures aux dépôts de presse dans les départements
limitrophes.
Avant le lever du
jour, prés de 36 000 points de vente sont approvisionnés, en
France. Les centres régionaux servent également les pays aux
frontières les plus proches , Toulouse pour l’Espagne, Nancy pour
Allemagne , Belgique , Luxembourg et Suisse, Nantes pour
l’Angleterre, Marseille & Lyon pour l’ Italie. Ainsi la
presse nationale française est en vente au jour J, dans une partie
des pays de l’UE. Des voitures postales, des trains et avions sont
servis en priorité pour alimenter des ambassades en dehors de l’UE,
mais aussi des kiosques sur d’autres continents à J + 1.
Les NMPP ont mis en
place un flux de retour pour traiter les invendus, et permettre ainsi
de ne pas encombrer les linéaires des distributeurs. . Certains
centre d’impression, impriment également des titres étrangers
pour qu’ils soient disponibles au jour J dans les Kiosques, c’est
le cas à Marseille avec l’impression du Time le week end, mais
aussi du Herald tribune à Nantes,. Les centres de diffusion en
région sont à moins de deux heures des pays limitrophes, la presse
de l’Union Européenne est donc ventilée en kiosque, souvent au
jour J. C’est une prouesse qui ne sera jamais égalée, la France
est le seul pays à proposer une offre de presse simultanée dans 36
000 points de vente. Ce système est le plus performant, le plus
économique, au monde.
Mais les
thuriféraires du marché vont mettre leur pattes dans ce système
unique Le marché ne peut pas comprendre que la performance passe par
un outil collectif. Il faut donc construire des outils indépendants
pour concurrencer les autres journaux , pour être le premier, pour
être le seul . Ainsi va la fable du capital triomphant….
Le Figaro, puis les
Échos vont se retirer du système de péréquation, et créer leur
propres réseaux de distribution..Le groupe Hersant (Figaro)
possédait les rotatives des centres d’impression régionaux, il va
s’en défaire au profit du groupe Amaury (l’Équipe Aujourd’hui/
Le Parisien), qui lui revendra le tout, plus tard, à Riccobono,
imprimeur qui s’est spécialisé dans la traque aux subventions
pour créer un patrimoine industriel. Le coût de l’acheminement
des autres journaux devient plus cher, logique.
En 2008, le groupe
Amaury construit une imprimerie en Vendée , à Bournezeau.
L’ambition est d’imprimer Aujourd’hui, Libération, l’Equipe
pour la façade Ouest de la France. Le centre régional Nmpp est à
Nantes, à une heure en voiture, pour traiter et regrouper les titres
afin de les expédier. Pour servir le sud ouest (Bayonne) il faudra à
une voiture 4 h 30 pour se rendre au dépôt , puis une heure de plus
pour approvisionner les kiosques du pays basque.
Le pari est plus que
risqué, il ne sera pas possible de servir les points de vente en
temps voulu. La CGT argumente et plaide pour une modernisation de
l’actuel dispositif, dans des implantations qui collent au réseau
ferroviaire , à coté des centres postaux pour les abonnements.
Rien n’y fait ,
une usine est construite en 2008 avec son parc de rotatives.
L’investissement colossal n’empêchera pas la fermeture du site
en 2015, sept ans plus tard. Entre temps les lecteurs de la façade
ouest, comme disaient les éditeurs, se sont lassés de ne pas
trouver leur journal dans les kiosques. Les ventes au numéro
périclitent.
,
Entre 1980 et 1990,
au lieu de renforcer l’outil commun les éditeurs de quotidiens ont
construit leurs cathédrales de verres et d’acier, le Monde à
Evry, le Figaro à Roissy. Le commentaire d’Hersant en 1989 est
édifiant , « je mets mes rotatives au cul des avions ! »
sans doute pour inonder le monde entier ?
La CGT, encore une
fois avait proposé de moderniser les outils existants au lieu de se
lancer dans des dépenses inconsidérées, pour le journal le Monde
il y avait de réelles perspectives à se faire imprimer également
en province. Cela permettait à un journal du soir de bénéficier
d’un temps rédactionnel plus long et de servir les lecteurs dans
un rayon court de diffusion.. Encore une fois peine perdue, les
patrons voulaient leur imprimerie à eux, symbole de toute
puissance.. Les délires mégalos sont quasi en ruine aujourd’hui
et servent de perchoir au corbeaux. Ces constructions pharaoniques,
hors des lignes ferroviaires ou postales, ont rallongés les délais
de mise à disposition de la presse vers les points de vente,
écartant encore un peu plus les lecteurs.
Plus les empires de
presse se sont restructurés , plus ils perdaient de lecteurs. Le
journal Libération, fondé par Jean Paul Sartre, est passé dans les
mains de Rotchild , pour finir dans le gousset de Patrick Drahi,
milliardaire endetté, patron d’Altice , de l’express, de BFM TV
et RMC. Libération en est a son quatrième plan de restructuration,
c’est une mutilation qui a ôte l’esprit même du journal ,
plafonnant à peine à 10 000 exemplaires. La seule utilité de
Libération pour Drahi, faire partie d’un (petit) bouquet
multimédia coincé entre annonceurs publicitaires et opérateur de
téléphonie. La réussite est totale.
Une législation
de droit divin
Nous
partons de loin, en
1551 Henri III déclare «
Que nul ne soit osé de dire du mal des princes et ceux qui nous
gouvernent ».
Petit à petit , en 5 siècles le droit d’expression s’est
structuré, inscrit dans la déclaration des Droit de l’Homme. Ce
droit a été arraché au cours des révolutions, dans
l’accompagnement des combats sociaux , mais aussi au cours des
conflits, guerre mondiale, guerre d’Algérie, guerre d’Indochine.
En Octobre 2019, les
députés godillots Macron-compatibles faisaient la peau à la loi Bichet,
renvoyant le statut de la distribution de la presse au XIX eme
siècle.
Aussi désastreux , la loi sur le secret des affaires voté le 14 Avril 2016 sous
la mandature de François Hollande, a brisé la loi de
1881, criminalisant ainsi les journalistes.
Désormais, la DGSI
convoque des journalistes, la police perquisitionne Médiapart. Ne
parlons pas des coups et des gazages des reporters dans les manifs.
Ces méthodes avaient été combattues en 1830 et 1848. On
progresse !
Prestaliss
n’entretient plus ses locaux , ses bureaux, depuis prés de deux
ans, plus de contrat pour faire les photocopies, plus d’entretien
sur le matériel informatique, sur la téléphonie, en fait
Prestaliss attendait et préparait la cessation de paiement pour
liquider la structure.
Le réseau de
distributeurs de presse a fondu, de 36 000 diffuseurs il est à
peine de 20 000 aujourd’hui. Mais il faut économiser encore. Ainsi
Louis Dreyffus, président du directoire du journal Le Monde,
annonce le coup de grâce.
Que sera la
distribution de la presse demain? Nul ne sait , mieux vaut habiter
prés d’une gare pour trouver une offre de presse à peu prés
correcte. Mais le détricotage de la Loi, la casse de la structure de
diffusion transforme l’offre de presse en jungle, où, pour le
coup, les plus puissants survivraient et décideraient de ce qui
doit se vendre.
C’est la fable
patronale, aux seules logiques de profit qui a amené la presse
nationale dans cet état, une gestion par le vide.Les journaux nationaux font des tirages de plus en plus calamiteux, mais les patrons de presse sont riches, trés riches. Cherchez l'erreur
Le dos au mur, les
salariés de la Presse et leur syndicat CGT continuent leur lutte,
il n’y a pas d’autre alternative que se battre.
Ce n’est pas
seulement leur emploi, c’est aussi un accès libre à
l’information, un choix démocratique, un choix de société.
Michel ANCE
Ouvrier de messagerie de Presse retraité
32 ans aux NMPP (Prestaliss)
Victor HUGO (1802-1885), Assemblée législative, 9 juillet 1850
La liberté de la
presse est entière ; il suffit d'avoir les milliards nécessaires.
Alfred Sauvy
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