Je suis fier d'accueilir, sur ce blog, la reflexion et l'analyse de mon Camarade, Yann Volant, ouvrier retraité de la Presse Parisienne, membre de l'Intistut d'Histoire Sociale du Livre Parisien (SGLCE/CGT).
Ecrire , s'exprimer, communiquer deviennent des exercices soumis à l'arbitraire capitaliste, à l'heure ou quelques milliardaires détiennent la majorité des médias. Macron casse un vecteur démocratique de communication pour revenir au 19émé siècle.
DISTRIBUTION DE LA PRESSE
UNE LOI BICHET BIENTÔT
LIBERTICIDE ?
La loi Bichet du
2 avril 1947 régit la distribution de la presse en France est
l’objet d’une attaque frontale du gouvernement d’Emmanuel
Macron qui n’admet pas que la presse soit distribuée d’une
manière égalitaire et solidaire au sein d’un système coopératif.
Un projet de
réforme de loi, qui prétend faussement maintenir le système
coopératif, vise en réalité à abroger, sans le dire, la loi
qualifiée de « joyau législatif de la Résistance »
Cette loi fût
adoptée par 614 députés socialistes, gaullistes et communistes.
Ceux-ci, unis dans la Résistance sous la conduite de Jean Moulin,
avaient perpétué leur alliance dans un gouvernement tripartite
jusqu’en mai 1947. Quatre-vingt-onze d’entre-eux étaient de
grands journalistes. (1)
Si le projet de
réforme de la loi Bichet est adoptée par l’Assemblée Nationale
le 23 juillet 2019, c’est la fin de l’égalité de diffusion des
titres et de la péréquation des coûts, la fin de l’impartialité
de traitement, de l’égalité d’accès à la presse en fonction
des territoires, l’ubérisation des messageries et l’atteinte
au droit de gréve des salariés.
Joyau
législatif de la Résistance
Notre
système de distribution de la presse unique au monde permet à
chaque quotidien ou périodique, quelle que soit l’importance de
son tirage, d’être présent dans les points de vente sur tout le
territoire, à égalité de traitement, en étant groupé avec les
autres titres et acheminé en temps et en heures vers les points de
diffusion.
N’en
déplaise à ses détracteurs, le système coopératif français est
moins coûteux et plus efficace que les entreprises de messageries
régies par la seule loi du marché partout ailleurs.
Nous
pouvons en apporter les preuves éclatantes, à travers l’« étude
comparative de la distribution de la presse en Europe » éditée
par le Conseil Supérieur des Messageries de Presse (CSMP) dont il
ressort que le système français est le plus économique.
Prenons
l’exemple de l’Allemagne, référence iconique des libéraux en
matière de gestion :l’étude nous apprend que dans ce pays,
le coût de distribution se situe entre 33,3% et 41,2%, transport
de l’éditeur
au grossiste non compris. Or, il
faut savoir que le transport constitue le premier poste de dépense
des messageries. Il faut donc l’inclure. Ce qui augmente
considérablement ces coûts qui sont donc en réalité de l’ordre
de 44 à 52% du prix de vente au minimum.
Par
contre, pour la France où, comme l’indique l’étude,
« l’approche des coûts est facilitée par la transparence
des tarifs (grâce à la loi Bichet), le coût moyen de la
distribution ressort à 34,6% ». Ce taux de rétribution
englobe l’ensemble de la filière : distributeur national,
dépositaire, transporteurs, diffuseurs.(2)
Par
ailleurs, le rapport de la Fédération Internationale de la Presse
Périodique (FIPP) nous prouve aussi que le système coopératif
français est le plus performant, en nous démontrant clairement que
la facilité d’accès au réseau de distribution contribue de
manière décisive au fait que notre pays se situe au premier rang
mondial au plan de la lecture des magazines.
Ce
document nous apprend qu’avec
4 400 titres magazines qui totalisent 1,5 milliard d’exemplaires
diffusés, la France en propose trois fois plus qu’en Allemagne
(qui en compte 1 600), près de deux fois plus qu’au Royaume-Uni (2
500). (3)
Cette
supériorité du système coopératif sur les entreprises de
messageries strictement commerciales, est une réalité qui dérange
les tenants de la « concurrence libre et non faussée »,
de la liberté du renard dans le poulailler.
C’est
pourquoi monsieur Marc Schwartz (dont nous parlerons plus loin),
dans son rapport intitulé « Dix propositions pour moderniser
la presse », a minoré systématiquement le prix de revient de
la distribution dans les autres pays, notamment en n’estimant pas à
leur juste mesure le prix du transport non compris dans la prestation
et majoré ce prix de revient pour la France.(4)
Par
contre, comme le précise l’étude du CSMP, il aurait été très
intéressant de faire état de la rémunération des services du
distributeur national, c'est-à-dire de Presstalis, qui étaient de
7,3 % en 2008 (alors que l’entreprise comprenait 1200 salariés)
et qui doit être aujourd’hui d’environ 4 % du prix de vente
d’un journal, après les suppressions massives d’emplois. Ce qui
veut dire que pour cette modique rétribution, les 500 salariés de
Presstalis encore présents effectuent cinq métiers
pour le prix d’un :
1-
Accueillir : Aider les nouveaux éditeurs à maîtriser les
paramètres qui conditionnent la réussite de leur titre.
2-
Répartir : Déterminer le nombre d’exemplaires à affecter
aux régions en accord avec l’éditeur.
3-
Distribuer : Réceptionner, trier et acheminer le papier.
4-
Promouvoir la vente au numéro. Moderniser le réseau des
dépositaires, animer les points de vente.
5-
Rendre compte : Déterminer les recettes. Alimenter les données.
Proposer des actions commerciales aux éditeurs.
Notre
système est un atout important pour la presse et son pluralisme et
il ressort donc de ces études que le déficit de la messagerie n’est
pas structurel mais qu’il résulte de la gestion calamiteuse de la
précédente direction générale de Presstalis, dont a fait état
Madame Benbunan.
« Détruire
le modèle social, économique et culturel du C.N.R. »
Madame
Benbunan, nouvelle PDG de Presstalis depuis septembre 2017,
consultée par les députés M. Laurent Garcia et Mme George
Pau-Langevin, a fait, sans la nommer, une critique au vitriol de la
gestion d’Anne-Marie Couderc, évincée au mois de juillet 2017
pour ces motifs : coûteuses créations de structures de
regroupements intermédiaires (50 millions), rachats de dépôts (20
millions) acquisitions de sociétés au moyen dispendieux de
l’affacturage (250 millions), elle
dénonce également la défaillance des structures de régulation qui
a facilité, pour un chiffre d’affaire de
300 millions,
l’exode des titres vers les MLP. Pour
toutes ces raisons, les fonds propres négatifs de Presstalis
avoisinaient, fin mars 2017, moins 305 millions d’euros. (5)
Le
gouvernement qui n’en demandait pas tant, s’empare de cette
situation pour mettre en œuvre sa politique visant à détruire le
modèle social, économique et culturel du programme du Conseil
National de la Résistance (CNR) élaboré en 1944.
Au
lieu de faire rectifier une gestion erratique, le pouvoir décide de
faire du passé table rase en s’en prenant à la loi Bichet.
Suivant
une technique désormais rodée, le gouvernement a commandé trois
rapports à différentes personnalités. C’est manifestement celui
de Marc Schwartz qui a inspiré le projet de la future loi sur la
distribution de la presse adoptée au Sénat.
Marc
Schwartz a assumé le volet culturel durant la campagne électorale
du candidat Macron et il a été directeur de cabinet de l’ex
ministre de la culture Françoise Nyssen.
Il
est chargé d’y aller de son rapport et de surcroît, signe de la
confiance qu’on lui accorde à l’Élysée, il est missionné pour
rédiger un « avant projet de loi relatif à la distribution de
la presse »
Ce
rapport préconise d’abroger la loi Bichet et le système
coopératif pour lui substituer « des entreprises de
distribution de presse » agréées par l’ARCEP.
Craignant
vraisemblablement de provoquer un tollé en abrogeant le « joyau
législatif de la résistance », voté en 1947 par l’ensemble
des élus, de droite et de gauche en passant par le centre, le
pouvoir choisit de modifier la loi en la vidant de sa substance et en
intégrant toutes les préconisations du rapport Schwartz.
Actuellement,
c’est le Conseil Supérieur des Messageries de Presse (CSMP),
autorité administrative indépendante, qui est chargée de faciliter
l’application de la loi Bichet et de veiller au respect des
principes égalitaires qui l’inspirent.
C’est
l’Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP),
qui, par la loi du 17 avril 2015, s’est vue reconnaître un
pouvoir décisionnel exclusif sur les barèmes des messageries de
presse. Cette dernière loi n’a pas eu l’effet escompté, puisque
des pratiques illicites de remises hors barèmes ont été
homologuées, avec pour conséquences de ne pas payer le coût réel
de la prestation et de provoquer un déficit chronique.
De
l’avis unanime des professionnels, cette situation résulte du fait
de l’absence de moyens dévolus à l’ARDP pour accomplir ses
missions.
Le
personnel de l’ARDP se limite aujourd’hui à un collège de
quatre membres qui sont aussi, à plein temps, respectivement
vice-présidente de l’Autorité de la concurrence, présidente de
section au Conseil d’État, conseiller-maître à la Cour des
comptes et conseiller à la Cour de cassation et un secrétaire
général qui est aussi, à plein temps, maître des requêtes au
Conseil d’État. (6)
Il
suffirait de transférer à l’ARDP les services de la Commission de
suivi de la situation économique et financière des messageries,
actuellement attachés au CSMP, pour permettre à l’autorité de
réagir avec rapidité et agilité.
Savoir
faire séculaire
Suivant
l’avis de Marc Schwartz, le projet de loi adoptée au Sénat
prévoit de transférer la gouvernance du système de distribution à
l’ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques
et des postes).
Pourquoi
cette idée en apparence saugrenue, de confier la régulation des
messageries à l’ARCEP, qui n’a aucune compétence en matière de
distribution de le presse ?
L’ARDP
est composée de hauts magistrats issus des grands corps d’État
dont la tradition d’indépendance ne les rend pas, à priori,
sensibles aux orientations des gouvernements de passage.
Le
risque d’une dépendance de l’ARCEP au milieu politique paraît
plus évident, quand on examine le mode de désignation des sept
membres de son collège :
-
Trois membres, dont le président, sont désignés par le Président
de la République.
-
Deux membres sont nommés par le Président du Sénat.
-
Deux membres sont nommés par le Président de l’Assemblée
Nationale
On
remarque la forte tendance ultralibérale de cet organisme et
l’inquiétante propension de la technostructure à se substituer au
politique quand on peut lire : « Tout en comprenant
les raisons historiques du modèle coopératif, les représentants de
l’ARCEP sont étonnés de sa survivance » (7)
On
voit très clairement que c’est le système coopératif qui serait
remis en cause, si par malheur se substituaient au CSMP et à l’ARDP,
ceux-là même qui seraient censés veiller, comme le précise
l’article 17 de la loi Bichet, à assurer « le bon
fonctionnement du système coopératif de distribution de la
presse ».
On
est sidéré de la légèreté de ces mêmes représentants de
l’ARCEP qui « estiment que Presstalis n’est pas la seule
entreprise de France à être en mesure d’acheminer des exemplaires
imprimés en région Parisienne jusqu’à 20 000 points de vente »
(8)
Ces
technocrates témoignent d’une ignorance affligeante des
difficultés rencontrées et surmontées grâce à un savoir faire
séculaire, pour acheminer en temps et en heures le produit le plus
périssable qui soit, afin de livrer les 23 217 points de vente
du réseau presse.
Jacques
Chaban-Delmas, qui était aussi un homme de presse en son temps,
disait à ce sujet « Le rôle d’une société de
groupage, de transport et de diffusion de presse est un rôle très
difficile, très délicat, dont l’accomplissement journalier est
très complexe ». (9)
Plus lucides que
les caciques de l’ARCEP, M. Francis Morel, qui était alors
président du Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN) et
M. Louis Dreyfus, président de la Coopérative des quotidiens (CDQ),
ont alerté sur les conséquences dévastatrices de l’éventuelle
disparition de Presstalis (10), qui emporterait au moins la moitié
des diffuseurs de presse et la totalité des petits éditeurs.
Une étude de BVA
pour Diffusion contrôle rappelle que, pour 85,2% des français, « un
quartier sans marchands de journaux est un quartier sans vie. »
La moitié des français vivraient donc dans des quartiers sans vie…
Essor du commerce
électronique
On
comprend mieux l’insistance pour que l’Arcep devienne l’organisme
de régulation quand on sait que c’est elle qui peut accorder aux
entreprises de distribution la licence postale permettant aux 23000
points de vente de recevoir et envoyer des colis ou recommandés,
comme l’a fait pour Adrexo ou colis privé(11), deux filiales du
groupe Hoops, qui ont créé, avec Culture Presse l’enseigne
HoopStore pour que les marchands de presse offrent des services de
distribution de courriers, colis et recommandés pour les
professionnels et particuliers.
Marc Schwartz, instigateur du projet de loi, déplore que les
marchands de presse soient « des acteurs dédiés uniquement à
la presse, alors que dans le secteur de la logistique et du
transport, l’essor du commerce électronique leur a donné une
nouvelle jeunesse » pour conclure que « la mutualisation
avec d’autres flux est sans doute une voie d’avenir »(12)
Nous
y voilà, on comprend maintenant la cause de l’acharnement à
vouloir abroger la loi Bichet qui favorise le pluralisme de la presse
et qui a concouru avec beaucoup de succès à ce qu’avec 6 000
titres de presse disponibles, la France soit au premier rang mondial
en matière de lecture des magazine. Il faut faire de la place aux
colis postaux ou à ceux de l’e-commerce sur les rayons trop
occupés par la presse dans les points de vente.
Désormais
le projet concernant l’avenir de la distribution de la presse se
dessine clairement quand on entend citer l’« essor du
commerce électronique » et prôner la « mutualisation
avec d’autres flux » (ceux des colis postaux ?).
En
effet, avec ses 23 217 points de vente, le réseau presse est le
premier réseau de commerce de proximité non-alimentaire, il
comporte un point de vente pour 2 700
habitants (alors qu’il y a 22 000 pharmacies, 17 000 points poste,
etc.) Très accessible en termes d’amplitude horaire, il est aussi
largement ouvert le Week-end. On ne peut imaginer de réseau plus
propice afin que les clients de l’e-commerce ou de la poste
viennent y récupérer leurs colis.
Mais
la surface de chacun des 23 217 points de vente de la presse n’est
pas extensible. Il faut donc faire le ménage dans « la
pléthore de titres » comme dit Marc Schwartz et imiter le
modèle germanique avant d’adopter plus tard celui de la perfide
Albion. Il faut impérativement éliminer le plus de titres possible
afin de libérer de l’espace pour les achats, il faut que la presse
cède la place aux paquets de coton-tige par botte de cent et aux
chaussettes en promotion. Pour cela il faut abroger la loi Bichet, ou
la vider de sa substance.
Parce
que même si on prétend veiller à ce que les titres d’information
politique et générale soient présents dans les présentoirs, comme
le e-commerce sera plus lucratif, certains marchands risquent de
reléguer les journaux au fond du magasin. La nature humaine a des
faiblesses.
A
l’issue de sa mission, Marc Schwartz a été nommé, par décret
du président de la République, au très prestigieux poste de
Président Directeur Général de la Monnaie de Paris.
Big-bang
pseudo libéral
Le
22 mai 2019, les sénateurs on adopté en première lecture le projet
de loi relatif à la modernisation de la distribution de la presse
(seuls les communistes et les écologistes ont voté contre, les
socialistes se sont abstenus).Si ce projet de loi est adopté par
l’Assemblée Nationale, c’est la fin de l’égalité de
diffusion des titres et de la péréquation des coûts, la fin
de l’impartialité de traitement, de l’égalité d’accès à la
presse sur tout le territoire, l’uberisation des messageries
etl’atteinte au droit de gréve des salariés.
Avant
la publication du projet de loi on craignait le pire et nous avions
raison. Un commentateur avisé dit très justement « derrière
un apparent maintien coopératif, ce projet de loi reprend, in fine,
tous les principes du « big-bang « pseudo-libéral »
du rapport Schwartz » (13)
FIN
DE L’IMPARTIALITE DE TRAITEMENT
Aujourd’hui,
pour garantir l’impartialité de la distribution,
les coopératives doivent obligatoirement admettre tout journal ou
périodique qui souhaite être distribué en étant groupé avec
d’autres titres(14) et si les sociétés coopératives décident
de confier l’exécution des opérations matérielles à des
entreprises commerciales, elles doivent s’assurer une participation
majoritaire dans la direction de ces entreprises, leur garantissant
l’impartialité de cette gestion et le surveillance de leurs
comptabilités.(article 4 Loi n°47-585 du 2 avril 1947).
Demain,
en abrogeant l’article 4 de la loi
Bichet, la
portée du principe d’impartialité sera annulée car son
application ne sera pas répercutée sur les sociétés commerciales
auxquelles auront recours les sociétés coopératives de groupage
de presse
La
seule mission d’une société coopérative de groupage de presse
consistera à « proposer à
leurs membres les solutions les plus adaptées pour la distribution
de leurs publications en confiant la mise en œuvre à des acteurs
tiers par voie contractuelle, après qu’ils auront été agréés
par le régulateur ».(15)
Certes,
toute société coopérative de groupage de presse est tenue
d’admettre tout journal ou périodique qui offre de conclure avec
elle un contrat de groupage. (16)
Mais
c’est une obligation purement formelle, puisque, comme on le verra
plus loin, il n’y aura plus de réelle péréquation des coûts de
distribution et les diffuseurs pourront refuser de proposer un titre
à la vente dans leurs rayons, sous prétexte que celui-ci ne
correspond pas aux « caractéristiques physiques et
commerciales de leurs points de vente » (indicateur 16, 2è
alinéa de l’article 5 de la loi 502).
FIN
DE L’EGALITE DE TRAITEMENT DES TITRES
Aujourd’hui,
pour garantir l’égalité de traitement, chaque titre bénéficie
ipso facto de la péréquation des
coûts de distribution, qui permet aux journaux à faible tirage de
bénéficier des mêmes tarifs que ceux accordés aux journaux à
fort tirage.
C’est
parce que les barèmes sont votés en assemblée générale des
coopératives, où les petits éditeurs sont les plus nombreux, que,
suivant le principe un homme=une voix, la péréquation des coûts
s’opère..
Demain,
les barèmes seront élaborés par les entreprises de distribution de
presse. Ce sera donc clairement la fin de la péréquation.
Le
projet de loi évoque des règles (Art 17-3è alinéa) qui devront
être fixées par l’ARCEP pour percevoir les fonds afin de
contribuer aux coûts de distribution des quotidiens. A aucun moment
les questions d’attribution et de répartition ne sont abordées.
Cette
aide ne concernera que les quotidiens. Les périodiques (y compris
IPG) seront donc tous discriminés. Le texte de commentaires sur le
projet de loi transmit au Sénat est parfaitement clair à ce
sujet : » Les éditeurs devront désormais faire face à
la réalité du coût de leur distribution. Ce qui pourrait avoir
pour conséquence la mise en difficulté de certains acteurs ».
Seuls
seront pris en compte « les coûts spécifiques qui sont
induits par la distribution des prix qui ne peuvent être évités ».
Cette formulation ouvre la porte à l’arbitraire le plus absolu.
Autant
dire que c’est la mort annoncée des titres d’information
politique et générale à faible tirage qui n’appartiennent pas à
des milliardaires.
FIN
DE LA NON-DISCRIMINATION
Aujourd’hui,
les diffuseurs de presse sont tenus de proposer à la vente tous les
titres confiés par les messageries. Lesquelles doivent
déterminer le nombre de titres livrés en fonction du linéaire
disponible sur la base de critères non discriminatoire.
Demain,
ce seraient aux marchands de presse de sélectionner les titres et
les quantités qu’ils souhaitent mettre en vente, à
l’exception des journaux de presse d’information politique et
générale (IPG).
Le
projet de loi fait état d’un accord interprofessionnel qui « tient
compte des caractéristiques physiques et commerciales des points de
vente »
Ainsi,
sous prétexte que certains titres ne correspondraient pas à leurs
« caractéristiques commerciales », les marchands de
presse choisiront bien évidement les titres qui se vendent le plus
et ne proposeront plus les autres. Au détriment du pluralisme de la
presse.
Quand
on sait qu’en ce qui concerne Presstalis, 30 éditeurs (sur 420)
représentent 90% du chiffre d’affaire, ce seraient donc 390
éditeurs, soit 93% d’entre-eux dont les titres seraient menacés
de disparaitre.(17)
FIN
DE L’EGALITE TERRITORIALE D’ACCES A L’INFORMATION
Ajourd’hui,notre
système de distribution de la presse unique au monde, permet à
chaque quotidien ou périodique, quelle que soit l’importance de
son tirage, d’être présent dans les points de vente sur tout le
territoire, à égalité de traitement, en étant groupé avec les
autres titres et acheminé en temps et en heure vers les points de
difusion.
Demain,
une « société agréée » par l’ARCEP s’engagera à
acheminer la presse selon un schéma territorial. « Ce schéma
peut couvrir la totalité du territoire ou des parties homogènes de
celui-ci »(art. 11)
C’est
la porte ouverte à la discrimination territoriale. Une société
agréée pourra donc desservir « les parties homogènes »
où la clientèle est la plus dense en délessant les territoires
les plus difficiles d’accès. Cet article discriminatoire est
attentatoire à la démocratie en portant atteinte à l’égalité
d’accès des citoyens à l’information et à l’éducation.
NIVELLEMENT
DES ACQUIS SOCIAUX PAR LE BAS
Si
la loi est adoptée en l’état, l’ARCEP, afin d’agréer une
société de distribution de presse, pourra lui demander de
« présenter de nouvelles propositions »et de modifier ou
suspendre ses propositions si elles ne respectent pas les conditions
de non-discrimination, d’orientation vers les coûts d’un
opérateur efficace et de concurrence loyale»(art 5) .
« Orienter
vers les coûts d’un opérateur efficace », ça veut dire
vers un opérateur qui nivellera par le bas les conditions de
travail et de rémunération des salariés, qui sont considérés par
le patronat, comme chacun le sait, comme des « variables
d’ajustement » pour pratiquer des « coûts d’opérateur
efficace ».
ATTEINTE
AU DROIT DE GRÉVE
L’article
5 du projet de loi stipule que la continuité de la distribution de
la presse d’information politique et générale doit être
garantie.
La
Sénatrice Mme Françoise Laborde a présenté un amendement visant à
compléter la phrase concernée par ces mots : « sans
préjudice du droit de grève, ce qui a provoqué une levée de
boucliers du rapporteur M. Michel Laugier et du ministre M. Franck
Riester, qui « considèrent que cette précision n’est pas
utile, le droit de grève étant garanti par la constitution ».
Madame Laborde, se satisfaisant de ces assurances orales, a retiré
son amendement.
On
est en droit d’être beaucoup plus inquiet quand on voit que
l’article 21 autorise l’ARCEP à « utiliser toutes les
mesures qu’elle juge utiles pour assurer la continuité de la
distribution de la presse. »
Une
fois la loi Bichet vidée de sa substance, cette poignée d’éditeurs,
qui pèsent pour 90% dans le CA de Presstalis et qui braillent en
permanence « qu’ils en ont marre de payer pour les petits »
se regrouperont entre eux pour créer « une société
coopérative de groupage de presse».
La
péréquation ayant été supprimée pour faire place, comme on l’a
vu à un ersatz qui ne serait distribué qu’aux quotidiens dans des
conditions aussi obscures qu’arbitraires, il sera très facile à
ces gros éditeurs de fixer un ticket d’entrée confiscatoire pour
les petits tirages (de l’ordre de 50% par exemple), tarif qui
serait fortement dégressif en fonction des volumes.
On
est en droit de douter de la capacité de l’ARCEP à réguler le
fonctionnement de ces sociétés, quand on écoute Cécile Dubarry,
directrice générale de l’ARCEP, qui reconnait « que son
institution n’était pas prête à jouer le rôle de gendarme qu’on
attend d’elle et qu’elle n’en avait pas la vocation. »
L’ARCEP
n’avait, selon elle, « aucune expertise sur les aides à la
presse, sur l’installation et la rémunération des diffuseurs de
presse ». Elle « n’a jamais eu de mission de
restructuration d’une filière ». (18)
Certe,
le Sénateur Pierre Laurent a fait adopter, contre l’avis
défavorable du ministre Franck Riester, un amendement (art.6 alinéa
23) visant à éviter que deux entreprises appartenant au même
groupe économique puissent se grouper en une coopérative de
distribution.
Mais
outre le fait que cet amendement puisse être remis en cause par
l’Assemblée Nationale, rappelons que la seule fonction de ces
pseudo-coopératives sera d’adresser leurs adhérents à une
société de distribution agréée par l’ARCEP, laquelle société
doit respecter un mystérieux « cahier des charges » dont
personne n’a la moindre idée du contenu et que c’est cette
société qui déterminera les tarifs ainsi que les types de
prestations et les niveaux de services attendus du point de vue
logistique et financier.
Ce
ne sont pas les « coopératives de groupage de presse »
mais les sociétés de distribution de presse qui détiendront le
pouvoir réél : le pouvoir économique. Ces dernières pourront
être créées avec ou sans associés. C’est la porte grande
ouverte au retour possible et même très probable d’un monopole
privé à l’image de celui qu’a exercé Hachette et contre lequel
la loi Bichet fût adoptée en 1947.
Le
retour d’Hachette ?
Pour
qui connait un tant soit peu l’histoire de la distribution de la
presse en France, on peut constater que, si le projet de loi n° 106
était adopté, toutes les conditions d’un retour à un monopole de
la distribution de la presse, tel des Messageries Hachette avant
guerre, seraient réunies.
Depuis
1897 et jusqu’en juin 1940 les Messageries Hachette se
réserveraient le droit d’accepter ou de refuser la diffusion d’une
publication.
Elles
pouvaient négocier de gré à gré avec les éditeurs en appliquant
des conditions de prix différentes en fonction du coût de
distribution de chaque titre.
André
Malraux disait que « l’avenir est un présent que nous fait
le passé ».
Ecoutons-le
et replongeons-nous dans la lecture du « Scandale du trust
vert ». André Wurmser écrivait ceci : « Le
monopole Hachette date officiellement du 9 février 1882. C’est
alors que la société en commandite signa son premier contrat
définitif avec les compagnies de chemins de fer. Moyennant une
redevance de 120 000 francs, l’exploitation de 750 bibliothèques
lui était réservée.
Le
24 janvier 1906, la jeune compagnie du Métropolitain de la ville de
Paris concédait à son tour à Hachette le droit exclusif de vendre
dans l’intérieur des stations de Métro.
Une
telle exclusivité, qui semble limitée à un nombre relativement peu
important de marchands de livres et de journaux, constitue, en fait,
un embryon de monopole de messageries ; il est, en effet, quasi
impossible à un concurrent de lutter contre celui qui, au départ, a
l’avantage de distribuer ses ouvrages dans les bibliothèques de
toutes les gares de France. De plus, cette vente fut la base du
développement d’Hachette dans les grandes et les petites villes de
province. Mais il convient surtout de souligner qu’Hachette
disposait en vérité, et dès cette époque, d’une arme efficace
pour soutenir l’ordre établi ».(19)
Le
député Fernand Grenier lors de la séance de l’Assemblée
Nationale du 21 mars 1947, parlait du soutien des messageries
Hachette à l’ordre établi en disant « comment lors
de la tentative de coup d’Etat de Mac Mahon, le trust Hachette
faisait disparaitre les journaux républicains des bibliothèques des
gares, comment il s’y prenait, déjà à l’époque, pour faire
disparaitre les livres considérés comme dangereux pour l’ordre
public, comment, en 1883, Georges Clémenceau et Camille Pelletan se
battaient déjà vainement contre le monopole, comment en 1890,
Maurice Barrès, Jean Richepin et Paul Bourget étaient battus par la
coalition des hommes d’Hachette au sein de la chambre, quels
contrats draconiens imposaient avant la guerre à ses dépositaires,
quels conditions de travail il imposait à son personnel … Comment
il a gagné la bataille contre l’Ami du peuple et le Quotidien…
En bref, il était impossible, en 1939, de vendre un journal parisien
sans passer par Hachette, maître absolu de la diffusion » (20)
Nous
sommes aujourd’hui à des années lumière du programme du Conseil
National de la Résistance qui comptait « assurer la
liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard
de l’Etat, des puissances d’argent et des influences étrangères »
et il faut désormais que pouvoir, presse et pognon fassent à
nouveau ménage à trois. Pour cela il faut vider de sa substance la
loi Bichet. Ce qui sera fait, comme on l’a vu plus haut, si le
projet de loi n° 106 est voté.
On
peut raisonnablement imaginer qu’une « Société
coopérative de groupage » qui utiliserait le réseau des
points de vente « Relay » serait agréée sans difficulté
par l’ARCEP.
Tout
comme il était impossible pour un concurrent de lutter contre
Hachette qui distribuait la presse dans 750 gares en France, il
serait impossible de lutter contre le groupe Lagardère qui, ayant
racheté Hachette en 1980, possède les 644 points de vente Relay.
Relay,
enseigne internationale, appartient au groupe Lagardère Travel
Retail. Ses 644 points de vente sont implantés sur les sites de
transport (gares, métro/RER, aéroport, autoroutes) et dans
l’univers hospitalier. L’enseigne offre les produits suivants :
presse, livres, confiserie, produits alimentaires, produits de
dépannage et de service pour les voyageurs.
Et
si Presstalis était dépecé, le groupe Lagardère serait idéalement
placé pour acquérir les parts que détient Presstalis dans la
SEDDIF, qui a développé le concept de Mag
Presse et Mag presse City,
comportant 804 magasins implantés en centre ville, quartiers et
centres commerciaux, ainsi que celui des 675
Maisons de la presse, présentes
principalement en centre-ville, avec une superficie moyenne de 110
m2.
Le groupe Lagardère pourrait aussi racheter à bon compte les parts
détenues par Presstalis dans la société Médiakiosk,
qui compte 522 kiosques(21)
Autre
hypothèse : le groupe NAP, qui possède 75% des parts de la
SEDDIF qui est propriétaire des enseignes Maisons de la Presse et
Mag Presse, premier réseau de commerce multi-spécialistes de
proximité avec 1650 points de vente, pourrait également constituer
un monopole.
Emmanuel
Schwartzenberg, intrigué par la présence grandissante des
dirigeants d’Hachette parmi les cadres de direction de Presstalis,
écrit : « La privatisation du système est lancée :
Michèle Benbunan (qui était, jusqu’au mois d’août 2017
directrice d’Hachette Livre)
a débauché Isabelle Hazard d’Hachette
Livre pour lui confier la direction
commerciale et embauché François Lieutard, avec qui elle a
travaillé jusqu’en 2009, à la direction de la logistique, des
spéculations laissent entendre qu’elle pourrait être le poisson
pilote d’Hachette
Livre
qui prendrait le contrôle de Presstalis circule. Si l’on ajoute à
ces extrapolations le fait que Claudia Ferrazzi conseillère culture
d’Emmanuel Macron est l’épouse de Fabrice Bakhouche, membre de
l’équipe de campagne d’En marche ! et directeur de la
stratégie de Hachette Livre,
il n’y a qu’un pas que beaucoup franchissent allègrement »
(22).
Richard
Lenormand, co-gérant d’Hachette
Filipacchi Associés après avoir
été élu, le 19 septembre dernier, président de la coopérative de
distribution des magazines (la CDM, qui possède 75 % des parts de
Presstalis), a été nommé, le 19 décembre 2018, membre du Conseil
Supérieur des Messageries de Presse (CSMP).
On
peut observer par ailleur qu’Isabelle Hazard a été remplacée à
son poste de directrice du développement commercial d’Hachette
Livre par Stéphanie Ferran, épouse
de Bernard Mourad, financier proche d’Emmanuel Macron (23).
Les
traditions de proximité entre Hachette et le pouvoir semblent
perdurer plus que jamais.
L’anxiété
taraude le personnel de Presstalis qui a retenu les propos tenus par
Madame Benbunan durant son audition publique au Sénat le 31 janvier
2018 ; « Les conditions ne sont pas actuellement réunies
pour organiser proprement une liquidation. Toute une économie
s’écroulerait en cascade dont il faudrait assumer la conséquence.
Si certains pensent que c’est envisageable, les voilà
prévenus »(24). Le terme « organiser proprement une
liquidation » est très inquiétant. Inquiétude amplifiée par
la réponse faite par Marc Schwartz à Madame Frédérique Meunier,
députée LR qui lui prête l’intention de « sauver le bébé
Presstalis »et à qui il répond qu’au contraire, il
proposait « une ouverture du marché et donc l’arrivée de
nouveaux entrants dans la distribution de la presse », mais que
madame Benbunan avait besoin d’une période de transition de deux
ans. (25)
Nombre
de salariés en concluent que c’est le délai indispensable pour
qu’une « Société coopérative de groupage »
concurrente soit opérationnelle. Avant de « fermer
proprement » Presstalis ?
C’est un massacre à la tronçonneuse qui est annoncé, une
catastrophe industrielle majeure avec la disparition de milliers de
titres et de dizaine de milliers d’emplois.
Le
rapport public annuel 2018 de la cour des comptes indique que le
secteur de la presse écrite regroupe environ 3 350 entreprises,
emploie 59 000 personnes dont 21 000 journalistes et publie
8
000 titres.
La
presse n’est pas un produit comme un autre. Vecteur de
communication des idées et des informations, elle remplit une
fonction indispensable en raison de son rôle fondamental dans le
processus démocratique.
Le
Conseil constitutionnel a affirmé, le 10 octobre 1984, la valeur
constitutionnelle de l’article 11 de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen de 1789 garantissant la libre communication
des pensées et des opinions.
Elle
ne serait plus effective si les lecteurs ne disposaient plus d’une
presse pluraliste, qui n’a de sens que si ceux-ci peuvent y accéder
grâce à une diffusion de la presse égalitaire et non
discriminatoire, donc en maintenant la loi Bichet et non pas en
l’abrogeant ou en la vidant de sa substance.
Yann VOLANT
NOTES
1) p 7 : « Un
tournant dans la vie des Messageries »
2) p21-22 « Etude
comparative de la distribution de la presse en Europe.
3) p 22 :
« Données Fédération Internationale de la Presse Périodique
(FIPP) », Word Magazines Trends 2014/2015, retraitment
mission.
4) p 63 « Dix
propositions pour moderniser la presse ». Rapport au ministre
de l’économie et à la ministre de la culture.
5) p 11 Rapport
d’information à l’Assemblée Nationale n° 861.
6) Idem
7) p 40 Rapport
d’information à l’Assemblée Nationale n° 861.
8) p 45 idem.
9) « Un
tournant de la vie des Messageries ».
10) p 47 Rapport
d’information à l’Assemblée Nationale n° 861.
11) p 13 Culture
Presse. Contribution post publication du rapport de la mission
Schwartz.
12) p 9 Audition de
Marc Schwartz, le mercredi 26 septembre 2018, par la commission
culture de l’Assemblée Nationale.
13) p 7.
Correspondance de presse du jeudi 7 avril 2019.Commentaire MLP.
14) Art. 6 loi n°
47-585 du 2 avril 1947.
15) p6 du projet de
loi 451.
16) art. 8 du projet
de loi n°451.
17) p.44 du rapport
AN n°861.
18) Blog Médiapart
Emmanuel Schwartzenberg « Poste sacrifiée. Presstalis
abandonnée »
19) p 5 « Le
scandale du trust vert », BnF
20) p 5 Un tournant
de la vie des Messageries.
21) csmmp.fr -
Types de points de vente.
22) Blog
« Médiapart », Emmanuel Schwartzenberg,28 février 2018.
23) LA LETTRE A
N°1805 18 janvier 2019 « Benbunan recrute chez Hachette ».
24) Audition
publique de Mme Benbunan devant la commission culturelle du Sénat le
31 janvier 2018
25) Audition M.
Schwartz devant la commission culturelle de l’AN le 26 septembre
2018.