Aux salariés de Libération en lutte
Publié dans Libé le 5 Avril 2014
Bonjour
Je lis , le plus souvent
possible, Libé depuis 1977. Votre journal m'a rarement laissé
inexpressif. Comment ne pas être ému face à la une consacré à
l'évacuation des sans papiers de St Bernard par les CRS avec pour
seule citation les mots de Debré, » avec coeur et humanité »,
comment ne pas se mettre en rage lorsque qu'Yves Montand assène
« Vive la crise ! » en pleine page. Des rubriques
« taulards » des années 70, à la couverture des grèves
de 1995, aux éditos racoleurs de 2005 vantant le oui nécessaire,
jamais un journal ne me surprit autant.
Au gré de mes humeurs,
et du traitement de l'actualité, Libé traversa la pièce parfois,
finissant rageusement contre le mur, ou fut précieusement mis de
côté .
J'étais ouvrier du
Livre pendant 30 ans aux NMPP à Nancy, dans un centre de
distribution et d’impression de province, comptant, conditionnant
, triant les journaux chaque nuit . Lorsque Libé était imprimé,
j'attendais , impatient à la sortie de la roto. Imaginant
l'insolence du jour, l'humour choisi pour traiter des grandeurs et
décadences de notre quotidien
Quelle tête il a
aujourd'hui , le Libé ?
C'est un bonheur , un
privilège de découvrir au milieu de la nuit le journal de demain !
Cette primeur me faisait oublier la dureté du travail , nous
portions avec mes collègues entre 12 et 25 tonnes par nuit, de
journaux et magazines.
Parfois il y eut des
tensions, en 1989, les NMPP firent grève pendant 10 jours, et le
mouvement de la CGT fut vivement critiqué par la rédaction de
Libération. Nous prenions alors la responsabilité de ne pas
distribuer un journal réunissant des efforts, de l'imagination , du
talent .
Je me sens concerné par
votre combat. Nos patrons sont les mêmes, actionnaires
thuriféraires du sacro saint marché. Leurs journaux vont mal, mais
leur affaires vont bien.
Nos centres d'impressions
et de distribution décentralisés (Nantes,
Nancy, Marseille ,Lyon ,Toulouse) ont souffert des
décision financières des décideurs la presse d'information aussi.
Votre journal n'a pas été épargné.
Nos professions ont perdu
plus de 60 % de leur salariés. Que disent les actionnaires
...Pas assez , le coût du travail est trop élevé
En 2007, Il fut décidé
que Libération serait imprimé à Bournezeau (Vendée) , pour toute
la façade Ouest. Bien évidement l'abonné de Bayonne n'eut pas tous
les jours son Libé, les ventes baissaient , mais banquiers et
actionnaires se contentaient du « schéma » , les coûts
avaient été baissé, tant pis pour les ventes.
Toutes les érosions des
ventes de Libé, n'ont pas été du seul fait de Libé . La
« stratégie » des patrons était collective. Ainsi, le
Figaro, et les Échos ont déserté en premier nos centres
d'impression, laissant aux autres éditeurs , dont Libé, à se
départager des coût de péréquation . Les premières fortunes de
France se taillent que les autres se démerdent. Toutes les remises
en cause rédactionnelles de votre journal avaient pour cause des
motifs financiers. Les crises de Libé 1, 2 et 3 n’étaient pas des
caprices rédactionnels mais des exigences de rentabilité.
Depuis le 2 Avril, les
patrons de Libération ont arrêté l'impression décentralisée en
province, trop cher ma pauv' dame !
La fausse bonne idée va
mettre en péril les ventes de Libé au numéro dans les pays
limitrophes et le service des abonnés.
Depuis 1979, la
technologie permet d'imprimer au plus prés des réseaux de
distribution, évitant ainsi de mettre des camions sur la route , et
pénaliser un produit fragile par des heures de transport lent . La
transmission numérique est plus rapide qu'un engin mu par du
fuel...CQFD ...Que font nos patrons ? Le diesel bien sur !
, c'est moins cher ma pauv dame !!!
A Nancy, dés que Libé
est imprimé, vers onze heure, ou minuit, les ouvriers de la
distribution chargent des voitures à destination de la suisse , du
Luxembourg, de l'Allemagne. Certaines voitures postales se rendent
aux aéroports pour servir des ambassades, comme Tel Aviv,
Maintenant , Libé arrive
au rythme trépidant du camion , au mieux vers une heure et demie du
matin, Le temps de transport, est autant de temps pris sur le
rédactionnel. Bref Libé arrive en retard et moins complet donc
moins vendable et moins vendu....quel génie ces actionnaires .
Sur ces question de
distribution, les salariés des centres de province sont prêts à se
battre avec vous . Imprimer un Libé sauvage dans chaque centre ?
Avec visite guidée de l'imprimerie.. ? .Une nuit de la presse
en live ? ou se croiseraient lecteurs, rédacteurs,
rotativistes , ouvriers de la distribution. Chiche , un combat
convivial en quelque sorte, nous savons faire , nous en aurions
envie.
Votre journal nous tient
à cœur, nous qui n'écrivons pas , nous n'en gardons que le noir
sur nos mains chaque nuit, et nous en sommes fiers.
Votre combat est beau,
ouvert à toutes et tous . Vous avez résumé votre lutte par des
mots qui ressemblent à Libé, Oui , vous êtes un journal !
Un beau journal !
Votre affirmation respire
une juste fierté, une indignation partagée et l’intelligence de
celles et ceux qui ne se résignent pas
courage !
Michel ANCE
adhérent sglce/CGT