mardi 8 avril 2014

Aux salariés de Libération

Aux salariés de Libération en lutte
Publié dans Libé le 5 Avril 2014

Bonjour

Je lis , le plus souvent possible, Libé depuis 1977. Votre journal m'a rarement laissé inexpressif. Comment ne pas être ému face à la une consacré à l'évacuation des sans papiers de St Bernard par les CRS avec pour seule citation les mots de Debré, » avec coeur et humanité », comment ne pas se mettre en rage lorsque qu'Yves Montand assène « Vive la crise ! » en pleine page. Des rubriques « taulards » des années 70, à la couverture des grèves de 1995, aux éditos racoleurs de 2005 vantant le oui nécessaire, jamais un journal ne me surprit autant.
Au gré de mes humeurs, et du traitement de l'actualité, Libé traversa la pièce parfois, finissant rageusement contre le mur, ou fut précieusement mis de côté .
J'étais ouvrier du Livre pendant 30 ans aux NMPP à Nancy, dans un centre de distribution et d’impression de province, comptant, conditionnant , triant les journaux chaque nuit . Lorsque Libé était imprimé, j'attendais , impatient à la sortie de la roto. Imaginant l'insolence du jour, l'humour choisi pour traiter des grandeurs et décadences de notre quotidien
Quelle tête il a aujourd'hui , le Libé ?

C'est un bonheur , un privilège de découvrir au milieu de la nuit le journal de demain ! Cette primeur me faisait oublier la dureté du travail , nous portions avec mes collègues entre 12 et 25 tonnes par nuit, de journaux et magazines.
Parfois il y eut des tensions, en 1989, les NMPP firent grève pendant 10 jours, et le mouvement de la CGT fut vivement critiqué par la rédaction de Libération. Nous prenions alors la responsabilité de ne pas distribuer un journal réunissant des efforts, de l'imagination , du talent .


Je me sens concerné par votre combat. Nos patrons sont les mêmes, actionnaires thuriféraires du sacro saint marché. Leurs journaux vont mal, mais leur affaires vont bien.
Nos centres d'impressions et de distribution décentralisés (Nantes, Nancy, Marseille ,Lyon ,Toulouse)  ont souffert des décision financières des décideurs la presse d'information aussi. Votre journal n'a pas été épargné.
Nos professions ont perdu plus de 60 % de leur salariés. Que disent les actionnaires ...Pas assez , le coût du travail est trop élevé
En 2007, Il fut décidé que Libération serait imprimé à Bournezeau (Vendée) , pour toute la façade Ouest. Bien évidement l'abonné de Bayonne n'eut pas tous les jours son Libé, les ventes baissaient , mais banquiers et actionnaires se contentaient du « schéma » , les coûts avaient été baissé, tant pis pour les ventes.
Toutes les érosions des ventes de Libé, n'ont pas été du seul fait de Libé . La « stratégie » des patrons était collective. Ainsi, le Figaro, et les Échos ont déserté en premier nos centres d'impression, laissant aux autres éditeurs , dont Libé, à se départager des coût de péréquation . Les premières fortunes de France se taillent que les autres se démerdent. Toutes les remises en cause rédactionnelles de votre journal avaient pour cause des motifs financiers. Les crises de Libé 1, 2 et 3 n’étaient pas des caprices rédactionnels mais des exigences de rentabilité.

Depuis le 2 Avril, les patrons de Libération ont arrêté l'impression décentralisée en province, trop cher ma pauv' dame !
La fausse bonne idée va mettre en péril les ventes de Libé au numéro dans les pays limitrophes et le service des abonnés.
Depuis 1979, la technologie permet d'imprimer au plus prés des réseaux de distribution, évitant ainsi de mettre des camions sur la route , et pénaliser un produit fragile par des heures de transport lent . La transmission numérique est plus rapide qu'un engin mu par du fuel...CQFD ...Que font nos patrons ? Le diesel bien sur ! , c'est moins cher ma pauv dame !!!
A Nancy, dés que Libé est imprimé, vers onze heure, ou minuit, les ouvriers de la distribution chargent des voitures à destination de la suisse , du Luxembourg, de l'Allemagne. Certaines voitures postales se rendent aux aéroports pour servir des ambassades, comme Tel Aviv,
Maintenant , Libé arrive au rythme trépidant du camion , au mieux vers une heure et demie du matin, Le temps de transport, est autant de temps pris sur le rédactionnel. Bref Libé arrive en retard et moins complet donc moins vendable et moins vendu....quel génie ces actionnaires .

Sur ces question de distribution, les salariés des centres de province sont prêts à se battre avec vous . Imprimer un Libé sauvage dans chaque centre ? Avec visite guidée de l'imprimerie.. ? .Une nuit de la presse en live ? ou se croiseraient lecteurs, rédacteurs, rotativistes , ouvriers de la distribution. Chiche , un combat convivial en quelque sorte, nous savons faire , nous en aurions envie.
Votre journal nous tient à cœur, nous qui n'écrivons pas , nous n'en gardons que le noir sur nos mains chaque nuit, et nous en sommes fiers.

Votre combat est beau, ouvert à toutes et tous . Vous avez résumé votre lutte par des mots qui ressemblent à Libé, Oui , vous êtes un journal !
Un beau journal !
Votre affirmation respire une juste fierté, une indignation partagée et l’intelligence de celles et ceux qui ne se résignent pas

courage !

Michel ANCE
adhérent sglce/CGT